Récemment, dans une série télévisée que j’aime bien, les auteurs ont fait le choix de tuer un personnage important. Force m’est d’admettre que ma réaction fut virulente et excessive, du style :
– Oh! mon Dieu! Comment ont-ils osé faire cela?
– Ça y est, c’est fini, je n’écoute plus cette série!
– Mais qu’est-ce qui leur est passé par la tête?
Ma réaction initiale, autant que la décision des auteurs, a engendré une réflexion sur la question de la mort d’un personnage dans une histoire. Je ne parle pas de la mort d’un personnage-victime, conçu pour mourir et faire avancer la trame de l’enquête, mais bien du décès d’un personnage principal.
Parfois, dans certaines séries, la mort d’un personnage est liée à une histoire de contrats. On peut penser au décès du personnage de Charlie Sheen dans Two-and-a-Half Men; l’acteur s’est tellement démoli avec sa crise d’hystérie contre les producteurs que ceux-ci ont tout simplement tué son personnage et l’ont remplacé pour la saison subséquente par Ashton Kutcher. Ce genre de situation de contrat était relativement plus fréquent avant dans le milieu. De nos jours, la mort d’un personnage dans une série télévisée est souvent traitée avec une plus grande maturité.
Quel est l’intérêt, et voilà ma question, de tuer un personnage aimé du public? Qu’est-ce que cette décision peut bien apporter aux auteurs et aux producteurs, d’autant plus qu’il est rare que le fandom reste indifférent au décès d’un personnage important?
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AVERTISSEMENT : Spoilers à partir d’ici!
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Épisode 3.01 de Arrow. Black Canary revient en ville, tout le monde est content de la revoir. Oliver, sa sœur Laurel; elle est en forme, on la voit donner un coup de main à Arrow et donner une volée à quelques criminels. Or, coup de théâtre de fin d’épisode (cliffhanger, en anglais), un archer sort de nulle part et décoche trois flèches dans son ventre. Canary tombe en bas de l’immeuble, presque dans les bras de sa sœur.
Pourquoi les auteurs ont-ils choisi de tuer le personnage de Sara Lance? Est-ce pour l’effet-choc? Est-ce que parce que l’actrice voulait renégocier son contrat? Est-ce par méchanceté?
LA MORT VOUS VA SI BIEN
» Quand soudain, l’épée sortit de nulle part et lui traversa le thorax! Glothar hurla de rage, alors que le sang jaillit de sa bouche… »
Parfois, les auteurs sont cruels. Souvent, ils le sont. Envers leurs propres personnages, envers leurs lecteurs ou spectateurs. Prendre la décision de tuer un personnage principal est rarement facile (sauf peut-être pour Stephen King ou George R.R. Martin). Un personnage principal est une vache à lait. Les gens s’y attachent, se placent dans sa peau et retrouvent en lui ou elle les vertus qu’ils veulent croire qu’ils détiennent, ou qu’ils espèrent à atteindre. Ils voient en ces personnages toutes les actions et les réflexions qu’eux-mêmes ne peuvent suivre. Les antihéros sont aussi populaires que les héros, et le désir de vengeance est souvent assouvi par cette association à ces personnages.
Et soudain, du jour au lendemain, notre personnage préféré mord la poussière. Ou peut-être n’est-ce pas le personnage préféré. Peut-être est-ce simplement quelqu’un qui lui était cher, quelqu’un qui représentait une meilleure partie d’elle-même. La mort frappe et le drame s’enchaîne.
Un auteur qui sacrifie un personnage sur l’autel narratif prend le risque de s’aliéner une partie de son auditoire. Combien de fois ai-je entendu cette réplique, à propos de Game of Thrones :
« Si Tyrion Lannister meurt, j’arrête d’écouter la série! »
À ceci, George R. R. Martin vous dirait tout simplement de ne pas vous attacher, parce que son sort est aussi incertain que celui de Ned Stark. On demande à Sean Bean de jouer le personnage, et ceux qui ne connaissent pas les romans y voient un grand acteur dans un grand rôle. Ils ignorent que le personnage est voué à une mort violente et un peu gratuite.
Walking Dead ne fait pas exception non plus. Cette série, inspirée de la célèbre bande dessinée de Robert Kirkman, ne lésine pas sur le nombre de cadavres qu’elle laisse derrière elle.
Stephen King, auteur à succès, s’est rendu célèbre avec des oeuvres d’horreur dans lesquelles les principaux personnages rencontrent des fins atroces. The Stand en est truffé, alors que les personnages qui se croisent de façon aléatoire en viennent aux violences les plus sales; et ceux que l’on croit destinés à mourir survivent alors que ceux qui mènent à terme leur mission périssent dans une grandiose explosion préméditée dans l’histoire.
Le fait est que, la mort d’un personnage en littérature n’est pas chose nouvelle. Dans les médias télévisés, la pratique est plus récente, et nous y sommes moins habitués. Mais est-ce que la nature du média change la relation que les spectateurs entretiennent avec les personnages? C’est l’impression que cela me laisse, que le média visuel est chargé de plus d’émotions instantanées que le média écrit. Il faut comprendre qu’un influx visuel est plus agressif à la perception qu’une compréhension écrite. Cela ne diminue pas l’émotion de la mort du personnage dans le livre, mais cette finalité est amplifiée par l’image projetée sur l’écran.
Il reste que, en fin de compte, personne n’aime voir un personnage mourir (sauf parfois certains personnages créés pour ce but spécifique). Les auteurs ont parfaitement le droit de faire ce qu’ils veulent avec leurs personnages, que les fans apprécient ou non.
Dans le premier épisode de la série Castle, avec Nathan Fillion, le personnage principal, l’auteur Richard Castle, tue le personnage principal dans ses romans, Derek Storm. Il le fait, déclare-t-il, parce qu’il a atteint tous ses objectifs avec le personnage, et n’est plus capable de le placer dans une nouvelle situation. Il cherche à se renouveler. Il illustre, par cette affirmation, le but ultime qui se cache souvent derrière la mort d’un personnage.
Il faut toujours se renouveler, et briser le statu quo. C’est pour cela que, en bande dessinée, les auteurs ont tué, dans le désordre, Superman, Captain America, Professor X, Batman, Spiderman, Robin, et j’en passe. Dans la majorité des BD, les personnages renaîtront de leurs cendres éventuellement, et c’est peut-être pour cette raison que ces morts, aussi tragiques et violentes soient-elles, sont tolérées de plus en plus dans le milieu. Mais le média visuel de la télévision est encore en train d’apprendre à gérer cette réalité, et les fans l’apprennent en même temps que les auteurs.
Je suis triste que Sara Lance soit décédée. J’aimais beaucoup le personnage. Mais, je repense à ma série préférée, Babylon-5.
Dernier épisode de la troisième saison : Le capitaine Sheridan se rend sur Zha’dum. On lui a dit que s’il s’y rendait, il allait mourir. Les serviteurs des Shadows essaient de le corrompre; il refuse. Il s’enfuit. Il active le vaisseau placé en orbite de la planète, chargé de têtes nucléaires. Le vaisseau fond sur la planète, et Sheridan, pour éviter de se faire prendre et arrêter, se jette dans le vide. BOOM! Fin de la scène.
Je voulais crier ma rage contre JMS!
Force m’est d’admettre, avec le recul, qu’il savait ce qu’il faisait : le geste de Sheridan sauve la mise pour l’ensemble de la galaxie. Une mort héroïque, présagée (on passe son temps à se dire, ‘oui, il va y aller, mais il va trouver une manière de survivre’ – eh non!), et qui transforme la nature de l’histoire… d’autant plus que Sheridan n’a pas dit son dernier mot…
Le capitaine John J. Sheridan a droit à une belle sortie, et ce n’est même pas sa dernière scène!
La mort de Sara Lance, elle, paraît gratuite (elle se retourne, voit un individu qu’elle reconnaît et reçoit trois flèches avant de tomber de l’immeuble au ralenti); et c’est peut-être pour cela que j’étais encore plus en colère. Parce que nos héros méritent une belle mort, ils méritent d’être acclamés, même en secret. Et l’épisode 2 de la troisième saison de Arrow nous donne une marge de respect envers Sara, alors que ceux qui continuent de vivre doivent gérer les impacts de son décès. Comme nous, en tant que fans.
Autant commencer à s’y habituer . Les auteurs de télévision ont décidé qu’aucun personnage n’est sacré. Reste à savoir s’ils vont finir par tuer leur personnage principal… ah! Désolé. J’oubliais Jack Bauer.
C’est la vie.