Critique du jeu Tacoma par Fullbright

Tacoma

J’ai souvent rêvé de travailler dans une station spatiale, mais si on me le proposait vraiment, j’hésiterais. Heureusement, il y a ce jeu! Le studio indépendant Fullbright, connu pour son précédent succès Gone Home, nous est revenu cette année avec son nouvel opus d’aventure et d’exploration narrative, Tacoma. Je vous avertis tout de suite : j’ai adoré ce jeu, mais je crois être biaisée. L’univers des stations spatiales, l’équipage restreint enfermé dans quelques panneaux de métal pour des mois et des mois sans contact externe, tournoyant dans l’espace grandiose et infini, accomplissant leurs tâches routinières, mais scientifiquement cruciales… J’adore ces univers, ils me font rêver. J’en avais déjà la piqûre en jouant à Creatures Such as We par Choice of Games, mais j’ai l’impression de l’avoir vraiment vécu avec Tacoma.

Le point de vue à la première personne et les décors réalistes rendent l’expérience immersive et bien vivante, malgré l’absence de combat ou de tout défi technique. À l’instar de Gone Home, dans Tacoma, notre personnage explore, manipule des objets, écoute et observe, et c’est tout. Le temps n’est jamais limité, et aucun monstre ne jaillira d’un coin sombre pour vous attaquer. L’histoire se déroule devant nos yeux à la vitesse de notre exploration, et plus vous vous y attardez, plus vous découvrirez des détails qui rendront le jeu encore plus fascinant.


Fiche Technique

  • Développeur : Fullbright
  • Plateformes : PC (Steam, GOG), Xbox One (critique faite à partir de la version PC)
  • Nombre de joueurs : 1
  • Type de jeu : Aventure narrative
  • Prix de base : 21,99 $CAN
  • Langue : Audio en anglais, menus et sous-titres disponibles en français ainsi que 6 autres langues.


Scénario

Tacoma est une station de transport lunaire, établissant ce qui semble être un point de transfert de marchandises en direction de la Lune. Son équipage est constitué de six membres humains et d’une intelligence artificielle nommée ODIN, représentée par un œil au centre d’une pyramide. Le personnage incarné par le joueur est justement une spécialiste de la communication avec l’intelligence artificielle, envoyée en mission sur Tacoma afin de récupérer les données enregistrées par la station. À notre arrivée, nul membre de l’équipage ne nous souhaite la bienvenue, car la station est complètement vide. Même ODIN n’est pas présent pour nous accueillir.

ODIN (la pyramide turquoise), en discussion avec Sareh, médecin de l’équipage de la station Tacoma

Il est rapidement clair pour le joueur qu’un incident s’est produit sur la station, ce qui a provoqué la corruption des données et éteint l’intelligence artificielle en charge. Tout ce qui nous reste à découvrir, ce sont des lieux désertés à la hâte et les dernières informations toujours disponibles dans la mémoire de l’ordinateur de bord. Notre mission est de récupérer toutes les données que l’on peut obtenir et de repartir avec celles-ci, à la demande d’un client anonyme. Pour ce faire, il faut brancher notre appareil de récupération sur un port spécifique dans chaque aile de la station. On explore ainsi les quartiers de l’équipage, les jardins, l’aile médicale et l’ingénierie, à la recherche d’indices sur les événements qui ont provoqué l’abandon de la station.

Reliant chaque aile de la station se trouve une zone sans gravité. On peut même jouer au basketball!


Jouabilité

L’histoire se présente à nos yeux via le port de verres de contact permettant la réalité augmentée. À l’aide des données récupérées par nos instruments, nos verres nous permettent de voir les dernières scènes de l’équipage du Tacoma en surimposant aux lieux abandonnés les silhouettes des membres de l’équipage ainsi que leurs voix. Chaque enregistrement en réalité augmentée s’étend sur plusieurs pièces et contient souvent différentes conversations entre les six membres d’équipage. Il est possible d’appuyer sur pause, de reculer, d’accélérer la lecture, etc. Cela permet d’explorer à notre rythme tous les événements qui se passent durant chaque scène. De plus, l’enregistrement qui nous est présenté contient aussi les applications virtuelles utilisées par chaque personnage.

Un peu comme un écran de téléphone cellulaire en réalité augmentée, notre personnage ainsi que tous les autres possèdent des applications (courriels, messagerie, appels, etc.) qu’ils peuvent faire apparaître devant eux, à la manière d’un livre ouvert qui flotte comme un hologramme. Explorer ces pages affichées par chaque personnage nous permet d’en apprendre beaucoup plus sur eux : leur vie personnelle et intime, leurs intérêts, leur histoire.

Dans cette capture d’écran, on peut voir Andrew qui consulte ses messages. 

Dès les premiers instants, Tacoma nous fait sentir comme des voyeurs. Nous avons accès à beaucoup d’informations très personnelles sur chaque personnage. Leurs conversations, leurs quartiers individuels, leurs courriels, leurs pièces d’identité… Le souci du détail que l’on retrouve dans le jeu est tel que lorsque le jeu se termine, on peut dresser un portrait étoffé de chaque membre de la station. La plupart des objets représentés dans le jeu peuvent être saisis et manipulés par le joueur. On peut ainsi explorer les essentiels de tout bon travailleur orbital, comme la nourriture lyophilisée, ainsi que les objets que chaque personnage a apportés avec lui durant son contrat hors planète.

Pour nourrir le chat de la station, rien de tel que de la viande sans produit animal!


Graphismes et ambiance

Tacoma est un jeu splendide. Les lieux sont très détaillés et semblent réalistes pour une station spatiale de l’an 2080-et-quelques. La représentation des personnages en réalité augmentée est intéressante, car bien que l’on ne voit que leurs silhouettes, chaque personnage est représenté par une couleur et par le symbole de sa profession. Les corps sont bien animés, mais ce qui les rend des plus vrais, ce sont les voix. Chaque acteur est excellent et rend une bonne gamme d’émotions. Le design audio est exceptionnel en général : les voix, les bruitages, la musique d’ambiance qui sort des haut-parleurs de la station, le ronronnement des moteurs, tout est superbement réalisé.

L’équipage en grande conversation, le tout reconstitué en réalité augmentée, sur un fond de station abandonnée. 

Malgré la jouabilité uniquement basée sur notre exploration, l’ambiance du jeu réussit à être très immersive. L’événement-catastrophe qui est survenu sur la station, que l’on découvre peu à peu dans les enregistrements, nous pousse à explorer afin de découvrir les scènes qui suivent et ainsi voir la destinée de l’équipage. Or, au lieu d’aller de scène en scène, on est aussi amené à explorer les lieux et à découvrir l’histoire derrière chaque personnage, à travers des petites scènes qui ne sont pas reliées à l’intrigue principale, mais qui ne font qu’étoffer les relations entre chaque personnage et leurs histoires personnelles. Beaucoup d’informations sont dissimulées un peu partout, il s’agit seulement de ne pas avoir de problème avec le fait de fouiller dans les biens personnels de tout le monde!

Les membres de l’équipage peuvent s’écrire par l’intermédiaire d’applications en réalité augmentée. Et nous, en tant que joueur, on peut tout lire. 


Univers de jeu

Le jeu se passe dans un futur pas bien lointain, où travailler en orbite est une façon de faire de l’argent rapidement, de pourvoir à sa famille, de pouvoir se payer une maison hors de prix sur la terre ferme, etc. La trame de l’histoire se passe donc sur un fond de capitalisme sauvage opposé à la syndicalisation des travailleurs orbitaux, ainsi qu’un débat actuel et pertinent sur l’intelligence et la conscience artificielles. Les intelligences artificielles sont-elles maîtresses de leurs actes, ou devrait-on plutôt blâmer le développeur pour les pépins, ou encore le propriétaire qui l’exploite?

Ces débats font déjà surface de nos jours en 2017, lorsque nous sommes tout juste à l’aube d’une forme d’intelligence née des algorithmes. Il est donc intéressant d’explorer ces questionnements dans Tacoma, où la dimension humaine de ce futur rapproché est à l’avant-plan.

Il est rassurant de savoir que, même dans l’espace, on continuera à jouer à Catane. 


Conclusion sur Tacoma

Ce jeu m’a plu au plus haut point. L’univers me fascine et les questionnements soulevés par l’histoire seront des débats essentiels de notre société avant longtemps. Chaque personnage est unique et présenté de façon vivante et réaliste, ce qui nous amène à nous soucier réellement de leur destinée. La station est très bien réalisée et il nous est permis d’explorer suffisamment d’endroits pour la faire paraître vraisemblable. Au final, Tacoma se termine en 3 à 4 heures, selon la méticulosité de votre exploration des lieux. Mais ces quelques heures sont bien remplies et sont satisfaisantes. On est transporté dans la station orbitale, on y découvre avec anticipation les événements et, avec émerveillement, les détails et objets. Le tout est un jeu marquant, que l’on termine avec un petit soupir, comme on referme un bon livre.

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