Chaque fois que je parle de la 4e édition du jeu de rôle Donjons et Dragons avec les gens de mon entourage, j’ai le droit à des commentaires très négatifs. Quelquefois, la réaction est tellement vive que j’ai l’impression que mon interlocuteur va me dégobiller au visage chaque fois que je prononce le nom du jeu-donc-on-ne-prononce-pas-le-nom. Aujourd’hui, je me suis donné comme mission d’analyser le système de jeu de fond en comble ainsi que d’étudier le comportement des personnes détestant cette version du populaire jeu de rôle.
Bonne lecture!
Un jeu simplifié, idéal pour les néophytes
Malgré tout ce que les détracteurs de l’édition maudite peuvent dire, il y a un point positif qu’on ne peut dénier : son approche simplifiée. En effet, on a désiré modifier les mécaniques du jeu de façon à ce qu’elles soient plus faciles d’approche pour les nouveaux joueurs. Après tout, la création de personnages et la gestion de chiffres peuvent faire peur aux non-initiés. Au lieu de noyer les joueurs dans un bassin de micro-décisions et de possibilités, on guide le joueur en lui offrant des options claires et précises. Voici quelques exemples :
- Les pouvoirs des personnages vont droit au but;
- Les différents rôles de chaque classe sont clairs;
- On utilise des cartes pour les actions en combat;
- Se déplacer en ligne diagonale est moins compliqué.
Ayant fait le test avec mon entourage dans le passé, il m’a été beaucoup plus simple d’introduire des joueurs à la 4e édition qu’à la 3e. Bref, on nous permet de lancer un nouveau joueur dans le vif de l’action sans avoir à lui expliquer un million de règles complexes. Cela est également vrai pour la cinquième édition… mais j’y reviendrai dans un autre article. Concentrons-nous sur l’édition maléfique aujourd’hui!
Un style se rapprochant du jeu vidéo
Bien souvent, on reproche à cette édition de trop vouloir faire comme un jeu vidéo. Pour être honnête, je fais partie des personnes qui l’ont reproché à Wizards of the Coast pendant plusieurs années. Cette fois-ci, les règles et les mécaniques mettaient vraiment l’emphase sur l’aspect tactique des combats en évitant d’utiliser des mécaniques complexes à répétition (mouvements diagonaux, lutte au combat, etc.). Tous ces petits changements de mécanique ont eu pour effet de déplaire à ceux qui ne jouaient que pour l’aspect social du jeu. Bien sûr, la partie roleplay faisait toujours partie du jeu, mais celle-ci semblait être mise beaucoup moins en évidence avec les changements de règles et de mécaniques.
En plus d’affecter les amateurs de roleplay, l’édition maudite a causé une déception de la part des joueurs qui adoraient la complexité des règles du système précédent, qui leur permettait d’appliquer une logique beaucoup plus proche de la « réalité ». (Je mets le mot réalité entre guillemets parce que le débat de réalité dans un jeu de rôle médiéval fantastique est beaucoup trop long pour cet article. On y reviendra un autre jour…)
Quand j’y pense un peu plus en profondeur, cette idée n’était pas très loin de ce qu’avait en tête l’équipe de WotC. Avec les ordinateurs utilisés de plus en plus fréquemment par les joueurs, d’avoir un jeu plus simple pouvant être utilisé en ligne faisait beaucoup de sens. Il faut se dire qu’à l’époque, nous n’avions pas encore accès à des outils comme Roll20, Fantasy Grounds ou Tabletop Simulator pour nous faciliter la tâche; on essayait de créer la base qui servirait à créer le jeu de rôle sur table en ligne de façon efficace. Mais bon, comme nous n’avions pas les outils pour le faire, nous finissions tous par faire comme tout le monde et jouer à la 4e édition autour d’une table. Et ce, en maudissant le développeur d’avoir changé autant ce jeu qu’on adorait tous.
Est-ce que ce choix était une mauvaise décision? Je ne crois pas. On nous a offert une version alternative du jeu de rôle en attirant un nouveau groupe de joueurs; les gens préférant l’édition 3.5 avaient encore accès à leurs vieux livres ou pouvaient se tourner vers Pathfinder, qui refusa de faire la transition. Si vous cherchiez à avoir un jeu beaucoup plus proche du jeu de plateau, cette édition était parfaite pour vous.
Homogénéisation intense des classes
L’un des gros problèmes avec les éditions précédentes du populaire jeu de rôle était que les classes n’étaient vraiment pas balancées entre elles. Mettez un guerrier niveau 10 contre un magicien du même niveau, et il se fera complètement défoncer par son adversaire. En fait, vous pouviez mettre un magicien préparé contre n’importe quel personnage, et celui-ci gagnerait haut la main. Avec la quatrième édition, on a tenté de rectifier la chose afin de rendre chaque classe intéressante à jouer. Pour ce faire, on a ajouté deux concepts qui étaient uniques à cette édition : les pouvoirs et les rôles spécifiques du personnage dans l’équipe.
Les rôles de l’équipe, une bonne idée mal perçue
Avant l’arrivée de la quatrième édition, le jeu n’osait pas écrire directement quels étaient les rôles possibles pour chaque classe. On laissait « le choix » aux joueurs de faire un personnage comme ils le souhaitaient, que ce soit de façon optimale ou complètement aléatoire. Et malgré tout, les joueurs finirent toujours par attribuer des rôles à chaque classe sans même s’en apercevoir. Pour la majorité des joueurs, un prêtre avait la mission de guérir ses alliés, le rôdeur était le détecteur de piège, un paladin était un tank, le barde, un happy face charismatique, et ainsi de suite. Même dans la troisième édition, les joueurs attribuèrent les rôles de glass cannon (gros dégâts, rapidement) et de contrôleurs (zones, debuff, etc.) aux magiciens qui, techniquement, pouvaient faire n’importe quoi. La quatrième édition a décidé de prendre ce concept en main.
Dans la quatrième édition, on a décidé de prendre cette mentalité et de l’appliquer directement dans le coeur des mécaniques de jeu. Pour ce faire, chaque classe avait plusieurs chemins de spécialisations avec leurs propres pouvoirs et avantages qui leur permettraient de combler l’un des rôles nécessaires dans une équipe : contrôleur (controller), protecteur (defender), meneur (leader) et cogneur (striker). Afin de gagner les combats de plus haut niveau, il était primordial d’avoir une équipe balancée utilisant ces quatre rôles avec une bonne coordination.
- Contrôleur = dégâts de zone, manipulation du terrain, etc;
- Protecteur = tank de l’équipe, attire l’ennemi vers lui, etc;
- Meneur = guérison, support à l’équipe, etc;
- Cogneur = beaucoup de dégâts sur une seule cible.
Quoique cette façon d’apprivoiser les classes jouables n’était rien de nouveau, celle-ci fut mal acceptée par la communauté, qui avait l’impression qu’on leur enfonçait une façon de jouer dans le fond de la gorge. Et personnellement, je crois que c’est bien dommage, c’était une belle façon de permettre à tout le monde d’avoir un objectif clair en combat.
Les pouvoirs
Là où le système changea complètement, c’était avec l’arrivée des pouvoirs de chaque personnage, classés en trois catégories : à volonté, par événement, et par jour. Afin d’offrir un semblant de variété aux actions des joueurs, on offrait des pouvoirs à volonté qui remplaceraient les attaques de mêlée habituelles. Ces pouvoirs pouvaient varier entre l’attaque attaquant la force ou la dextérité de l’ennemi au lancement de missiles magiques de bas niveau. À cela, on ajouta des pouvoirs beaucoup plus puissants à toutes les classes qui respecteraient le rôle sélectionné par les joueurs, qui permettraient à ceux-ci de se battre à armes égales avec leurs partenaires.
Par exemple, le guerrier gagnait des pouvoirs permettant d’attirer les ennemis vers celui-ci, d’en assommer plusieurs, de se déplacer sur le terrain avant même que son tour n’arrive, de forcer ceux-ci à l’attaquer, d’ignorer les blessures, de sauter sur un ennemi éloigné pour l’attaquer, etc. On s’entend que ce genre de prouesse rend l’idée de jouer un tel personnage beaucoup plus intéressante! Après tout, c’est ennuyant de répéter une action qui n’arrive pas à la cheville des autres personnages. En offrant cette nouvelle approche, on permettait aux classes beaucoup plus martiales de se sentir utiles au combat et de ne pas se sentir inutiles face aux personnages capables d’utiliser la magie.
C’est une mentalité qui n’a pas fait plaisir à tout le monde d’ailleurs; beaucoup de vieux fans voyaient une logique dans la supériorité des magiciens et des sorciers. Cela a causé un sentiment de trahison d’une très grande partie de la communauté, ce qui ajouta une autre brique sur ce mur qui explique cette haine pour l’édition maudite..
Une perte de variété… moins de créativité!?
L’une des sources majeures de frustration de la part des joueurs venait du fait que cette édition réduisait énormément le nombre de choix pouvant être faits par ceux-ci. Une gigantesque réduction de la variété de sortilèges pour les lanceurs de sorts, une énorme diminution du nombre de compétences pouvant être utilisées, d’objets magiques, et j’en passe. Il faut aussi avouer que les choix de races et de classes offertes dans le premier livre de joueurs étaient limités. On nous offrait 8 races et 8 classes jouables, en laissant de côté plusieurs classiques pour intégrer de nouvelles possibilités (comme le Dragonborn, le Tiefling, le Warlock et le Warlord). Vous aviez envie de jouer un barde, un gnome, un demi-orc ou un druide? Eh bien, fuck it, attendez les prochaines extensions! On a rectifié le tir en offrant 2 livres des joueurs supplémentaires en plus d’un second livre du maître de jeu. Mais cela n’a fait qu’ajouter plus d’huile sur le feu qui alimentait les fans de longue date qui décidèrent peu à peu de migrer vers d’autres horizons.
On comprend que le nouveau concept d’homogénéisation des classes était complexe à intégrer, mais cela a été fait d’une façon contre-productive pour les fans de longue durée. Bref, on a opté pour le fait d’imposer de nouveaux classiques (races, classes, etc.) en oubliant les rôles classiques et bien aimés de la franchise. Ce manque de variété a été reproché à maintes reprises aux créateurs de la nouvelle édition parce qu’elle créait une dépendance aux nouveaux livres de règles. Non seulement ça, mais cette approche apporta une impression de la part de plusieurs joueurs qu’il y avait beaucoup moins de possibilités à créer et improviser.
Personnellement, je suis de ceux qui croient qu’un système de jeu n’est qu’un outil et qu’on peut arriver à faire ce que l’on veut avec. Avec un peu d’effort et de débrouillardise, un maître de jeu était en mesure de faire à peu près n’importe quoi avec cette édition sans trop briser la fluidité des mécaniques. Cependant, il est vrai que les livres de base ne nous offraient pas beaucoup d’outils en tant que maître de jeu pour créer son propre matériel, et ce, malgré l’existence d’un livre du maître de jeu. Cela nous rendait la tâche beaucoup plus difficile.
Suspension de l’incrédulité brisée
Là où j’en veux le plus à Wizards of the Coast dans leur création de leur quatrième édition, c’est dans les décisions qui ont été prises pour (ne pas) gérer la suspension de l’incrédulité. Qu’on nous offre des mécaniques semblables à celle d’un jeu vidéo, c’est une chose qui peut être bénéfique selon les points de vue. Là où j’ai un problème, c’est qu’on nous offre une panoplie de pouvoirs ayant pour effet de gâcher notre immersion régulièrement (systématiquement à chaque combat).
Les raisons pour ce bris du quatrième mur sont multiples, c’est comme si on avait décidé de créer un jeu tactique en oubliant l’aspect roleplay. Trop de fois, il nous arrive d’avoir de la difficulté à expliquer une scène d’action parce qu’un pouvoir utilisé ne fait pas beaucoup de sens, parce qu’on doit expliquer pourquoi on ne peut pas refaire l’action qu’on a déjà commise le tour précédent, etc.
Vous voulez des exemples de ce problème?
- Les tonnes de pouvoirs et attaques faisant bouger un allié ou un ennemi de plusieurs cases;
- L’explication des pouvoirs « un par jour/combat » lorsqu’il s’agit de prouesses physiques simples;
- L’introduction des « minions » qui n’ont qu’un seul point de vie pour faire grossir l’ego des joueurs;
- Guérison instantanée de n’importe quel personnage en plein combat parce qu’ils sont awesome (second souffle);
- Etc.
Je pourrais continuer ma liste encore longtemps, mais cela vous donne une brève idée de ce que je pense. En tant que jeu de société, cela n’est aucunement un problème. Après tout, on voit des trucs du genre dans des tonnes de jeux de plateaux comme Descent ou Warhammer Quest. Cependant, lorsque l’on essaie d’immerger ses joueurs dans l’univers d’un jeu de rôle sur table, la tâche devient beaucoup plus compliquée. Malgré tout, il est vrai que si l’on veut pousser ma réflexion plus loin, la majorité des jeux de rôle utilisant des dés et mécaniques de déplacement possèdent le même problème. Cependant, je crois qu’il est possible d’avoir un juste milieu, et que Wizards of the Coast a manqué sa cible de ce côté avec la 4e édition.
Conclusion : mon avis sur la 4e édition?
Pendant plusieurs années, je me suis laissé influencer par mon cercle d’amis, qui vouait une haine pour cette édition. Du coup, je n’avais jamais réellement pris la peine d’en voir le potentiel, mentionnant que si je voulais jouer à un jeu vidéo, que je le ferais sur mon ordinateur. Comme cette édition avait été initialement créée pour faciliter le jeu de rôle sur les ordinateurs, on comprend cette arrière-pensée, mais cela n’en fait pas un mauvais jeu pour autant. Avec la quatrième édition de Donjons et Dragons, on nous offrait un jeu beaucoup plus simple pour les non-initiés ainsi qu’un équilibre dans les classes disponibles, choses que les versions précédentes du jeu manquaient.
Maintenant que la cinquième édition est sortie, est-ce que les livres de cette époque ont toujours une utilité? Je dirais que oui! Les livres se vendent pour des prix ridiculement bas dans les boutiques spécialisées. Les livres de monstres offrent de magnifiques alternatives et pouvoirs aux créatures de la cinquième édition, idéal pour les maîtres de jeu désirant surprendre leurs joueurs. De plus, les livres traitant de l’univers D&D possèdent des tonnes d’idées et d’informations intéressantes. En plus, les quêtes de quatrième édition peuvent être modifiées sans trop de difficulté pour être utilisées dans la dernière édition.
Sans cette édition, nous n’aurions pas eu la chance de voir naître la cinquième évolution du populaire jeu de rôle. Elle était TRÈS différente, certes, mais au bout du compte, elle avait réussi à attirer une nouvelle génération de joueurs pour cette passion qu’est le jeu de rôle et ça, c’est magique!
On aime :
- Comme toujours, l’art utilisé dans les livres est superbe;
- Les mécaniques sont faciles d’approche pour n’importe quel joueur;
- Chaque classe est équilibrée, et ÉGALEMENT utile aux combats;
- Les livres sont disponibles pour des prix ridiculement bas dans les boutiques;
- Les campagnes de cette édition peuvent offrir des quêtes intéressantes à bas prix;
- Tous les livres offrant un approfondissement de l’univers sont toujours aussi utiles;
- Offre plusieurs mécaniques intéressantes pour les monstres en combats pour la 5e édition.
On aime moins :
- Ressemble trop à un jeu de société ou à un MMORPG sur ordinateur;
- L’homogénéisation des classes et des races peut briser le sentiment d’invidualité du joueur;
- On a réduit de loin la variété de possibilités offertes aux joueurs;
- Les mécaniques utilisées brisent constamment la suspension de l’incrédulité;
- On offre très peu d’outils pour les maîtres de jeu pour créer du matériel original;
- Le système permet aux joueurs de transformer n’importe quel objet magique en ce qu’ils veulent.
Je vous laisse sur une vidéo réalisée par Matthew Colville qui parle un peu plus en détails de son appréciation pour D&D 4E. C’est en anglais, mais le contenu qui s’y retrouve est franchement TRÈS intéressant! Si vous aimez la 5e édition, vous verrez la quatrième sous un oeil complètement différent!
https://www.youtube.com/watch?v=QoELQ7px9ws