Ces derniers temps, je croise de plus en plus de gens sur les réseaux sociaux qui demande comment télécharger des animé (sans payer bien certainement) et s’offusquer de devoir payer pour des animés qui sont de moins en moins bonne qualité. Souvent, ce genre de conversation se voit tourner en guerre ouverte entre les propiratages et les antipiratages. Les uns se disent le droit acquis de le faire, car ils font la promotion du média ou ils manquent de sous (insérer autres raisons plus ou moins valables ici). Les autres (généralement des anciens qui ont connu la bulle des années 1990/2000) prétendent que cette pratique tue l’industrie et leur hobby à petit feu. Quand est-il?
J’ai aussi vu des géants de cette industrie nippone se questionner sur l’avenir de ce médium artistique. Pas seulement à cause du piratage, mais entre autres à cause de ces conséquences insidieuses sur l’industrie.
C’est pourquoi, aujourd’hui, je vous présente un texte que j’ai écris il y a de ça presque 3 ans, mais qui semble toujours d’actualité. Bonne lecture!
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Aujourd’hui je vous parle d’un sujet qui me tient à cœur en tant que fan (otaku) de longue date du genre, même si je n’ai plus utilisé ce terme pour me décrire depuis des années. Je vais vous parler de l’effet du piratage sur l’industrie de l’anime et du manga en Amérique du Nord. J’aurais bien pu vous entretenir du phénomène du point de vue des comic ou des jeux vidéo où les problèmes sont sensiblement les mêmes, mais j’ai choisi de m’en tenir à ça, car c’est un sujet que je connais et dont j’ai débattu maintes fois.
Premièrement, voici un petit cours d’histoire plus ou moins factuel, mais oh combien éducatif. J’ai personnellement commencé à m’intéresser à l’animation japonaise à la fin des années 90. À l’époque, j’étais un sportif de haut calibre en fin de carrière qui se cherchait un nouveau hobby. J’étais aussi un énorme fan de Star Wars. Quand on m’a fait découvrir l’animation japonaise (merci à mes amis du cégep!), le côté science-fiction m’a immédiatement intrigué et je suis sauté à pieds joints dans Evangelion et la franchise Gundam, sans jamais regarder en arrière.
C’était une époque plus simple où Internet et le partage de fichiers commençaient à émerger. Les logiciels de partage tels Napster, LimeWire, Morpheus et eMule régnaient en rois et maîtres et le fansub commençait sa transition du format VHS vers les fichiers informatiques facilement échangeables sur ces nouveaux médias.
Eh oui! Le fansub a déjà existé sur format VHS. Le système était simple. Vous vous rendiez sur le site Web des fansubers et vous choisissiez les animés que vous désiriez avoir. Ensuite, vous envoyiez votre liste et de l’argent qui couvrait seulement les frais de port et le prix de la cassette VHS, et vous receviez le tout par la poste quelques semaines plus tard. Par compte, dès qu’un animé était officiellement licencié par un distributeur comme ADV Films ou Central Park Media, les fansubers retiraient automatiquement le titre de leur site et ne le distribuaient plus.
C’était un code d’éthique simple qui a duré jusqu’au milieu des années 2000. Vous ne distribuez pas de contenu s’il a été licencié par une compagnie en Amérique du Nord. Nous ne voulions pas nuire à cette petite industrie, et c’était aussi illégal. En retour, les compagnies toléraient les fansubers. Les compagnies se servaient même souvent des données des fansubers pour savoir quelles séries avaient le plus de potentiel ici. Ce code était respecté à la lettre par les otakus et les fansubers. C’était un GRAND crime d’oser pirater un animé ou un manga et, si ça avait le malheur de se savoir, vous étiez socialement cuit dans la communauté… Les plus vieux vous le confirmeront.
Mais, un jour, ce code d’éthique a disparu… Pourquoi? Il y a plusieurs raisons. Certains tiennent pour responsables les studios japonais qui ont commencé à se mettre le nez dans les affaires des distributeurs nord-américains et européens qui ont eu une approche beaucoup plus sévère face au fansub, qu’ils considèrent comme du piratage. D’autres attribuer la faute à la nouvelle génération d’enfants rois, nés avec un ordinateur et habitués d’obtenir ce qu’ils désirent sans coût et immédiatement. D’autres encore pointent du doigt l’arrivée en scène de groupes de fansub moins scrupuleux qui se foutaient éperdument de l’entente de principe qui subsistait entre la communauté et l’industrie. Je vous dirais que c’est un peu de tout ça, mais que, en fin de compte, ce blogue ne vous fournira pas la réponse pour démasquer le principal coupable.
Le nœud du problème selon moi est la pensée magique des otakus et des geeks en général. La plupart des fans croient que l’industrie de l’animé en Amérique est un béhémoth tout comme l’industrie du disque ou du film qui refusent de changer ou de s’adapter. Pour ces fans, la perte de quelques millions en piratage n’est pas si dramatique pour cette industrie et se disent que, de toute façon, à voir le prix des DVD et la piètre qualité des titres récents, l’industrie nous vole… Cette conception montre à quel point les fans actuels d’animé sont déconnectés de la réalité de leur hobby, voire ne s’y intéressent plus.
L’industrie de l’animé et du manga est au mieux marginale en matière de son existence en Amérique du Nord. Par exemple, la compagnie Viz Media, qui est l’une des plus grosses compagnies multifonctionnelles d’animé (qui produisent et distribuent par eux-mêmes), est sous la barre des 200 employés. Tokyopop ne suit pas très loin avec des chiffres sous la barre des 100 employés sur notre continent. J’estime donc à plus ou moins 1 000 personnes qui travaillent directement dans le domaine de l’animation japonaise aux États-Unis et au Canada. J’ajoute ici que je ne compte pas le fait que de gros joueurs comme Central Park Media et ADV Films ont disparu depuis, et que Bandai a cessé toute activité en Amérique du Nord, causant la perte de plusieurs autres emplois.
Qu’est-ce qui a causé la disparition de ces gros joueurs et le retrait d’une multinationale comme Bandai du décor? Possiblement la valeur globale de l’industrie en Amérique, qui a chuté de 43 % entre 2003 et 2009, passant de 4 840 000 000 $ US à 2 741 000 000 $ US en six ans. On ne parle pas encore de profit, ici, car ceux-ci sont TRÈS bas. La majeure partie des revenus est d’ailleurs issue des produits dérivés. Si nous regardons les ventes de vidéos, il y a une baisse de près de 48 % entre 2003 et 2009… Les ventes (et non les profits) sont passées de 415 000 000 $ US à 200 000 000 $ US! Certains diront que l’animé est simplement moins populaire. Effectivement, l’animation japonaise a moins de visibilité à la télé qu’au début des années 2000. Par contre, comment expliquez-vous les participations record des festivals d’animé dans les dernières années? Personnellement, je crois que la thèse du dégât causé par le piratage est la plus viable, car, bien que l’animé et le manga ne soient plus mainstream, la communauté est plus forte et présente que jamais.
Aussi, il ne faut pas oublier ce que coûte une licence. Ces petites compagnies doivent acheter les licences de distribution au studio japonais. Ces licences coûtent généralement entre 50 000 $ US et 100 000 $ US pour un animé moins connu et peuvent facilement monter jusqu’à 500 000 $ US et plus pour des animés plus populaires. Par exemple, ADV Films avait payé en 2007 près de 516 000 $ US pour les droits sur Ah! My Goddess 2 et 780 000 $ US pour Tokyo Majin. En plus, des garanties doivent être versées. Il faut aussi mentionner que ces droits de distribution ne sont pas ad vitam æternam, ils doivent être renégociés et ces compagnies doivent encore payer après le délai prescrit dans un contrat. Je ne mentionne même pas les frais légaux et administratifs que ces négociations et achats entrainent et le tout sans vraiment savoir si l’investissement va être bon… Est-ce que le DVD va se vendre? En 2005, la marge de profit de l’industrie de l’animé en Amérique était sous les 1 %. De gros risques pour ces petites compagnies, et peu de profit pour elles au final.
Il est donc de mon avis que le piratage fait extrêmement mal à cette petite industrie marginale de passionnés. Le manque à gagner est énorme par rapport aux risques encourus par les distributeurs nord-américains et, si ça continue comme ça, notre communauté de fans aura fini d’achever notre hobby d’ici les dix prochaines années.
À suivre dans la partie 2.